« Il y a des milliers d'années, les tribus humaines souffraient de grandes privations dans leur lutte pour l'existence. Il était alors important, non seulement de manier une matraque, mais de posséder la capacité de penser intelligemment, de tenir compte du savoir et de l'expérience engrangés par la tribu et de développer des liens qui établiraient les bases d'une coopération avec d'autres tribus.
Aujourd'hui, la race humaine doit affronter une épreuve analogue. Plusieurs civilisations pourraient exister dans l'espace infini, parmi lesquelles des sociétés qui pourraient être plus sages et plus « performante » que la nôtre. Je soutiens l'hypothèse cosmologique selon laquelle le développement de l'univers se répète un nombre infini de fois sur les pages « suivantes » ou « précédentes » du livre de l'univers. Néanmoins, nous ne devons pas minimiser nos efforts sacrés en ce monde, où comme de faibles lueurs dans l'obscurité, nous avons surgi pour un instant du néant de l'inconscience obscure à l'existence matérielle. Nous devons respecter les exigences de la raison et créer une vie qui soit digne de nous-mêmes et des buts que nous percevons à peine. »
Andréi Sakharov
LVdlR : Je ne connaissais pas ce passage. Les scientifiques en parlent fort peu. Personne n’en parle, en fait.
J.-P. P. : Il faut surtout réaliser une chose. Ces phrases se situent précisément à la fin du discours. Elles donc censées représenter ce que Sakharov considère comme étant le plus important dans ce message qu’il adresse au monde.
LVdlR : A savoir que, selon lui, des civilisations extraterrestres devaient exister, qui puissent être, soit en retard, soit en avance par rapport à nous.
J.-P. P. : C’est exactement ce que dit ce texte. Et je le corrèle avec le caractère singulier de sa carrière scientifique. Dès 1948, ce brillant chercheur a travaillé exclusivement à la conception des bombes. C’est en particulier le père de la bombe H soviétique. C’est encore lui qui a conçu la bombe thermonucléaire la plus puissante jamais testée, en 1961, la Tsar Bomba.
La Tsar Bomba. Les personnages donnent l’échelle
Mais après cette explosion, qui dégagea 57 mégatonnes, selon ce qu’il écrit dans ses mémoires, il calcule le nombre de cancers que cet engin pourra créer, écrit qu’il a déclaré à sa hiérarchie qu’il avait accepté de travailler pour assurer la défense de son pays, non pour contribuer à la destruction de l’humanité. Son attitude change alors du tout au tout. Il refuse de continuer de développer des technologies axées sur les armements et il s’oriente désormais vers la ... cosmologie. Ce virage à 180° se situe au milieu des années 60.
LVdlR : Et vous pensez que ce changement brutal d’activités est à relier avec le contenu de cette fin de discours ?
J.-P. P. : Il faut être clair. Si je travaille depuis 1975 dans la même direction qu’Andréi Sakharov, ça n’est pas pour trouver des explications aux paradoxes sur lesquels buttent les scientifiques, actuellement, en astrophysique et en cosmologie. Chez moi, ce qui sous-tend cette démarche, c’est de démontrer la faisabilité des voyages interstellaires. C’est ce qui me parait le plus important.
LVdlR : S’il est exact que si aujourd’hui aucun scientifique ne se hasarderait à prétendre que la Terre est la seule planète habitée, à la suite de cette découverte de toutes ces exo-planètes, tous opposent la « barrière luminique », l’impossibilité d’aller à plus de 300.000 km/s. Pour atteindre une telle vitesse, notre physique indique qu’il faudrait déployer une énergie infinie. Pour un physicien, une croisière à une vitesse « supra-luminique » est un non-sens. Alors, en envisageant des voyages se poursuivant au dixième de cette vitesse cela impliquerait, pour les plus proches étoiles, des temps de voyage frôlant le demi-siècle aller, et autant au retour.
J.-P. P. : C’est pour cela que pour rendre ces voyages « non-impossibles », il faut un changement de paradigme, un changement de conception de la géométrie de l’univers. Et le déploiement de l’univers en deux entités jumelles en est un. Tout simplement parce qu’il n’est nullement dit que la vitesse de la lumière soit la même dans cet autre « versant d’univers ».
LVdlR : Autrement dit, pour effectuer ces voyages interstellaires, il faudrait emprunter l’univers jumeau, comme une sorte de métro express ?
J.-P. P. : Le fil conducteur, c’était cette inversion du sens du temps. Cette vision de « deux univers » brouille un peu les idées. Aujourd’hui, je préfère employer le terme de « bimétrique ».
LVdlR : C’est-à-dire ?
J.-P. P. : Ce mot signifie qu’entre deux points A et B de l’univers, il existe deux chemins différents qui ne correspondent ni aux mêmes distances, ni aux mêmes temps de voyage. Les barrières luminiques ne sont en outre pas les mêmes. Mais avant de poursuivre, je vais dissiper ce voile que crée cette vision de deux entités dotées de flèches du temps opposées. Là, il faut invoquer la contribution du mathématicien Jean-Marie Souriau, dont j’ai été l’élève et qui est décédé début 2013.
Le mathématicien français Jean-Marie Souriau
En 1972, il a montré que le fait de se déplacer « à rebrousse-temps » signifiait en fait qu’on inversait la masse, et au passage l’énergie, puisque E = mc2 . Et ça, c’est une contribution essentielle. Donc, si vous le voulez bien, oublions cet aspect « temps » et reprenons avec cette idée que dans l’univers, il existe des chemins empruntés par les particules à masse positive, et d’autres empruntés par les particules à masse négative et que ces deux chemins sont différents, disjoints.
LVdlR : Vous avez publié des choses, là-dessus ?
J.-P.P. : Bien sûr. Et ma dernière communication sur ce sujet se situe au colloque de Physique Mathématique de Prague, en septembre 2013. Mais laissons un peu de côté cet aspect concernant les voyages interstellaires.
LVdlR : Einstein a montré que l’énergie d’une particule de masse m était m c2, selon sa célèbre formule. Vous venez de dire que Souriau avait montré que cette inversion de la masse impliquait aussi celle de l’énergie.
J.-P.P. : Et là, les physiciens lèvent les bras au ciel en disant « si l’univers est fait de particules d’énergies opposées, quand celles-ci se rencontrent, alors il ne reste ... rien ! »
LVdlR : S’il n’y a pas annihilation totale, il reste quoi ?
J.-P.P. : Ces particules ne peuvent pas se rencontrer, ne peuvent interagir que par la force gravitationnelle, ou plutôt dans ce cas antigravitationnelle. Je vais évoquer l’aspect distance. Prenez une feuille de papier. Imaginez qu’elle représente un univers à deux dimensions. Il n’y a qu’une seule feuille, mais elle possède « deux versant d’univers », en l’occurrence un recto et un verso. Si vous inscrivez les trajectoires de particules d’énergie positive sur un des côtés de la feuille et celles de particules d’énergie négative de l’autre côté, ces trajectoires ne pourront pas se croiser. Leur rencontre sera « géométriquement impossible ».
Vous pouvez maintenant figurer deux points A et B sur cette feuille. Avec la pointe de votre crayon, vous transpercez la feuille. Vous pouvez alors tracer des trajectoires « de plus court chemin » entre ces points A et B.
LVDLR : En l’occurrence... des droites ?
J.-P.P.: Tout à fait. Et avec cette simple feuille de papier on va pouvoir illustrer ce mot barbare « bimétrique ».
LVDLR : Pourquoi ce mot « bimétrique » ?
J.-P.P. : En grec, metron signifie « je mesure ». Sur les deux faces de votre feuille vous allez tracer des quadrillages réguliers, mais avec des mailles différentes. D’un côté vos mailles feront 5 mm et de l’autre 5 cm.
LVDLR : Et alors ?
J.-P.P.:Ces carrés vous permettent de mesurer le temps mis pour parcourir un chemin donné. Ce chemin, vous le parcourez en passant d’une case à l’autre. Selon qu’on effectue la mesure sur une face ou l’autre de la feuille de papier, les décomptes du nombre de cases seront différents. Cinquante dans le premier cas, en cheminant sur le recto, et cinq en cheminant sur le verso de la feuille.
LVdlR : Autrement dit, pour rendre un voyage interstellaire faisable, dix fois plus court, il suffit d’inverser la masse d’un vaisseau et de ses occupants.
J.-P.P. : Oui, c’est ça. Je vais illustrer cette idée avec une autre image. Supposons que nous nous proposions d’aller de Marseille à Alger. La distance à vol d’oiseau est de 750 km. Nous envisageons d’effectuer un vol en avion en admettant une vitesse maximale, indépassable, qui est la vitesse du son, 1200 km/h au niveau de la mer. Dans ce monde, nous considérons qu’un déplacement supersonique serait physiquement impossible. En volant tout près de cette vitesse, le temps de voyage serait donc 750 x 60 / 1200 = 38 minutes. Mais imaginez maintenant quelqu’un qui effectuerait ce voyage en seulement 9 minutes.
LVdlR : Je dirais que ce voyageur a violé les lois de la physique de ce monde là, car il se serait déplacé plus vite que le son, à plus de 1200 km/h.