Le cinéaste Tewfik Farès s’indigne ici que la défunte ait été réduite à son travail de speakerine.
Réduire, comme on l’a fait, l’épitaphe de Nadia Samir au fait qu’elle ait été la speakerine d’origine algérienne de la première chaîne de télévision française est un raccourci indigne de son talent. Certes, le visage de cette femme arabe, incarnant l’image d’une grande chaîne de télévision, était remarquable en soi. Mais ce n’était pas autre chose que la manifestation publique du talent de celle qui fut, d’abord et avant tout, une belle et talentueuse actrice.
Actrice, elle le fut aussi bien au cinéma, à la télévision, au théâtre avant d’être une «speakerine», et surtout après avoir quitté le petit écran où celles qu’on appelait «les femmes-tronc» furent remplacées par les anonymes bandes-annonces des émissions. Je ne rappellerai pas ici la liste de ses nombreuses prestations qui fondent une carrière en tous points brillante.
Je citerai pour mémoire les rôles majeurs qui ont été les siens dans Leïla et les autres de Sid Ali Mazif et dans Bab El Oued City de Merzak Allouache. Dans ces deux films, elle a su exprimer toute sa détermination dans le combat émancipateur, qu’elle avait fait sien, pour promouvoir une image de la femme moderne et libérée. Actrice, elle savait mettre sa sensibilité et son intelligence au service des personnages qu’elle incarnait et à celui de nombreux metteurs en scène qui firent appel à elle. Actrice, elle donna vie et épaisseur humaine aux rôles dans lesquels elle se coulait avec la facilité et la sûreté d’une vraie professionnelle. Actrice, elle avait l’art de la mesure et de la distance qui lui évitait, comme quelquefois dans ce métier, de laisser percer sa propre personnalité au détriment du caractère du personnage dont elle avait endossé la vie. Actrice jusqu’au bout, elle souffrait aussi, depuis quelques années, de n’avoir pas de propositions, ou très peu, dans lesquelles elle pouvait exprimer d’autres facettes encore de son talent.
Elle fut une amie sûre pour moi, et pour tous ceux à qui elle avait fait don de son amitié avec cette qualité rare de savoir tisser des liens entre celles et ceux qui devenaient ses amis. Nous eûmes à collaborer dans certaines de mes émissions que je lui avais demandé d’animer. Elle le fit toujours avec une disponibilité, une patience, une ponctualité, une grâce et une perfection qui font du travail de création un plaisir et non un pensum.
Elle nous a quittés, en ce mois de mai 2011, toujours jeune et belle, avec encore tant d’envie de porter des projets, de partager son dynamisme, de nous encourager à créer, nous, acteurs ou metteurs en scène, qui faisions partie de sa famille, dont elle aura été une femme et une sœur irremplaçables.
On aimerait tant que son souvenir demeure dans son pays d’origine, et que son nom embellisse une rue, une place, un jardin peut-être…
Tewfik Farès
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